3ème Maison de Bourbon (3ème partie)
L’épisode du Connétable Charles III
Le mariage arrangé
Anne et Pierre de Beaujeu n’ayant eu qu’une fille, Suzanne, théoriquement, d’après le testament de Louis II, leurs possessions auraient dû revenir à la couronne. Mais le roi Louis XII, avec lequel les Bourbons s’étaient réellement, avait abandonné ses prétentions sur le duché et annulé la clause d’apanage, pour que Suzanne puisse hériter. Pierre II voulait marier Suzanne au duc d’Alençon, deuxième dans l’ordre de succession au trône (après François d’Angoulême, futur François Ier), mais en raison du décès de Pierre le mariage est reporté. Cependant, la branche cadette des Bourbon Montpensier, issue de Jean Ier, réclame des droits sur le Bourbonnais. En 1489, Pierre II avait été obligé par le parlement de signer une déclaration par laquelle, en l’absence d’héritier mâle, la branche cadette des Montpensier pourrait hériter. Ceux-ci n’acceptent pas d’être privés de leurs droits par les libéralités octroyées par Louis XII et la donation au dernier vivant -autorisée par Charles VIII- que s’étaient faite Pierre II et Anne. Anne de Beaujeu, devant ces recours juridiques, décide de prendre tout le monde de court. Elle fait annuler le projet de mariage avec le duc d’Alençon et décide de marier Suzanne au dernier descendant des Montpensier, Charles -le futur célèbre connétable de Bourbon-, qu’elle connaît bien (il vit à Moulins depuis la mort de son père et de son frère aîné) et qu’elle apprécie. Ils sont très jeunes -Charles a quinze ans et Suzanne quatorze-, mais qu’importe ! Anne espère ainsi couper court à toute contestation, qu’elle vienne de la Couronne ou des Montpensier. Le contrat de mariage, en 1505, est ciselé : Anne, en tant que légataire universelle de Pierre II, fait don de toutes ses possessions à Suzanne et à Charles. Charles apporte dans la corbeille de mariage ses propres terres : les comtés de Montpensier et de Clermont (en Auvergne cette fois-ci !), la seigneurie de Mercoeur et le dauphiné d’Auvergne. Les deux époux se font également une donation au dernier vivant et à leurs futurs descendants de tous leurs biens. Le roi Louis XII n’y trouvant rien à redire, Charles III se retrouve donc, après son mariage, duc de Bourbon, d’Auvergne, de Châtellerault, comte de Clermont en Beauvaisis, de Montpensier,de Forez, de la Marche, de Gien, de Clermont en Auvergne, vicomte de Carlat et de Murat, seigneur de Beaujolais, de Combrailles, de Mercoeur, d’Annonay, de la Roche en Régnier, de Bourbon Lancy, et prince de Dombes. C’est le deuxième personnage du royaume après le roi. Seule Louise de Savoie, mère du futur François Ier et cousine germaine de Suzanne proteste… Louis XII confirme Charles III grand chambrier de France et gouverneur du Languedoc. Charles III conquiert ses lettres de noblesse dans les guerres d’Italie du nord, ainsi qu’en Bourgogne. Il est même tellement brillant qu’il inquiète… Son cousin François d’Angoulême se marie avec la fille de Louis XII, Claude de France, en 1514. Charles, Anne et Suzanne sont de la cérémonie bien entendu. Tout oppose Charles et François : autant le duc de Bourbon est sérieux, bon gestionnaire, autant François est frivole et outrageusement dépensier, surtout depuis son mariage avec Claude, car il puise directement dans les caisses du royaume, ce qui a le don de mettre le vieux Louis XII en colère. Louis XII qui d’ailleurs ne tardera pas à décéder sans héritier mâle.
Le début des ennuis
François Ier, premier successible, devient roi en 1514. Louise de Savoie, qui en avait fait une fixation, exulte et compte bien le manipuler pour assouvir sa propre ambition et sa vengeance contre Anne de Bourbon, qu’elle déteste. François Ier nomme Charles connétable en 1515, car les rapports entre les deux hommes sont encore bons à ce moment-là. En tant que connétable, il réorganise l’armée et part avec François Ier pour la campagne d’Italie. C’est la victoire de Marignan contre les Suisses, en … 1515 bien sûr ! Cette victoire doit beaucoup au duc, et il est nommé gouverneur du duché de Milan. Puis Charles et le roi regagnent Moulins où les attendent Anne, Suzanne, la reine Claude et Louise de Savoie, et fêtent la victoire. Mais des tensions apparaissent ensuite assez rapidement, pour des questions d’argent, car Charles a engagé de gros frais pour la campagne d’Italie et diverses autres opérations, et François Ier fait la sourde oreille pour le dédommager. De plus, ses pensions ne lui sont pas versées régulièrement, voire pas versées du tout. La chambre des comptes à Moulins, qui fait office de ministère des finances du Bourbonnais, rend son rapport sur le manque à gagner qui est phénoménal (plusieurs centaines de milliers de livres). Un événement met ces problèmes entre parenthèses pendant un instant : Suzanne, contre toute attente, est enceinte et accouche d’un petit François, titré comte de Clermont comme le veut la coutume, en 1517. François Ier en est le parrain. Les Bourbons déploient alors un faste grandiose, ce qui fera penser au roi que le duc n’a finalement pas tant besoin d’argent qu’il le dit. En 1518, c’est au tour de François Ier d’être père. Anne de Beaujeu est la marraine du petit dauphin. Là aussi, le faste déployé est invraisemblable, surtout si on considère le piteux état des finances royales. Pendant ce temps, Charles Quint est élu Empereur Germanique contre François Ier qui se présentait aussi. Peu de temps après, un drame survient : le comte de Clermont meurt. Charles et Suzanne essaient d’avoir d’autres héritiers mais n’y parviendront pas. Le Bourbonnais est à nouveau en danger… Suzanne, déjà de santé fragile est affaiblie par des fausses couches ou l’accouchement d’enfants morts nés. Conseillée par sa mère, elle couche Charles sur son testament en 1519. Sage précaution car l’héritière la plus proche de Suzanne n’est autre que… Louise de Savoie !
Le Camp du Drap d’Or
En 1520, une rencontre est organisée entre les rois de France et d’Angleterre pour tenter de réchauffer les relations entre les deux pays. Toute la noblesse est là, il y a moult joutes et ripailles. Le roi d’Angleterre remarque à cette occasion Charles III, qui lui a fait présent d’un cheval magnifiquement harnaché. Il dira de lui “mon frère de France a dans monsieur le connétable un sujet dont je ne voudrais mie être le maître. Dans tous les cas fera-t-il bien de ne pas trop ferrer le mors de ce fier coursier, car il me paraît prompt à regimber. C’est un vassal qui aimera toujours mieux sentir la main d’un ami que celle d’un maître.”
Le procès
Suzanne meurt en 1521, à seulement dix-huit ans. Charles et Anne sont effondrés, mais c’est déjà la guerre avec Charles Quint et Charles III est appelé au front par le roi. La victoire n’est pas au rendez-vous, et Louise de Savoie intrigue pour que le commandement de l’avant-garde soit enlevée au connétable. Charles est véritablement ulcéré. De plus, dès le décès de Suzanne, Louise réclame la succession. Elle fait toutefois préciser que si le connétable, dont elle était secrètement amoureuse depuis des années, acceptait de l’épouser, elle renoncerait à ses droits. Bien que cela aurait été très avantageux pour lui -elle lui aurait apporté en plus l’Angoumois, la Touraine, l’Anjou et le Maine-, et que ce soit François Ier en personne qui lui en fasse part, Charles refuse vigoureusement, traitant même Louise de “femme sans pudeur”! On imagine la réaction de François Ier… Anne de Beaujeu, toujours aux aguets, voyant les ennuis arriver, rédige rapidement un testament dans lequel elle fait donation de tous ses biens à Charles. Le procès en héritage commence. Le parlement est plutôt favorable aux Bourbons, car la légalité joue en leur faveur : Charles VIII avait reconnu à Pierre II le droit de disposer librement de ses biens, Louis XII avait annulé la clause d’apanage, Pierre II avait reconnu les droits des Montpensier, il y a le contrat de mariage de Suzanne et Charles, le testament de Suzanne puis celui d’Anne, et pour parachever le tout le contrat de mariage de Marguerite de Bourbon, mère de Louise, qui renonçait à toute prétention sur l’héritage familial par son mariage avec Philippe de Savoie. Louise n’a donc légalement aucun droit sur l’héritage des Bourbons. Mais quand l’une des parties au procès est la mère du roi, le droit s’adapte… Les conseillers sont dans une situation délicate : soit ils se déshonorent en prononçant un verdict qu’ils savent injuste, soit ils prennent le risque de s’aliéner le roi. Du coup ils préfèrent ajourner le procès. Sans attendre les conclusions futures, François Ier commence à distribuer les biens des Bourbons à sa mère ! Louise de Savoie fait hommage au roi pour les duchés de Bourbonnais et d’Auvergne et les autres possessions des Bourbons en octobre1522, comme s’ils lui appartenaient déjà. Anne conseille alors à Charles de faire alliance avec Charles Quint, puis rend son dernier soupir à Chantelle un mois plus tard.
La révolte et la fuite
Le roi fait immédiatement saisir tous les biens d’Anne (notamment le comté de Gien et la seigneurie de Creil) pour les donner à sa mère. Charles crie au vol. Bien moins fin politicien que sa belle-mère, pétri d’idéal chevaleresque, il est désemparé devant les coups bas qui pleuvent sur lui. Il se résout donc à demander l’appui de Charles Quint. Après tout, il est son vassal pour la principauté de Dombes. Les tractations commencent avec l’empereur et le roi d’Angleterre, dont un projet de mariage avec la soeur de Charles Quint, Eléonore. François Ier, qui a vent des tractations, cherche à l’humilier et à l’affaiblir encore d’avantage. Charles se décide alors à signer un traité secret avec Charles Quint et Henri VIII d’Angleterre. Le traité prévoit un mariage avec une des soeurs de l’empereur, assorti d’une dot importante, et la création d’un royaume formé du Bourbonnais, de l’Auvergne, du Dauphiné et de la Provence pour lui et sa femme. En contrepartie, Charles s’engage à aider Henri VIII et Charles Quint à attaquer la France, en s’emparant de certaines provinces. Le roi est informé de ce traité. Il investit Moulins où le duc est alité, malade, et lui propose une réconciliation assortie de fausses promesses. Le duc n’est pas dupe et refuse. Il est laissé sous la garde du chambellan du roi. Charles, sans doute pour gagner du temps, écrit au roi, à la reine, à Louise et à d’autres, jurant que sa rébellion n’a d’autre origine que la spoliation dont il a été victime et qu’il renouvellera son allégeance au roi si l’injustice est réparée. Mais il n’y a plus aucune confiance entre les deux hommes. Jacques de Chabannes est déjà en route pour l’arraisonner. Charles, qui se trouve dans sa forteresse de Chantelle, part à la dérobée une nuit de septembre 1523 avec quelques fidèles. Leurs chevaux sont ferrés à l’envers pour brouiller les pistes. Après des semaines d’errance pour passer les frontières -sa tête est mise à prix-, il arrive à St Claude en terre d’empire. Là il essaie de regrouper les fidèles qui lui restent, et François Ier fait encore une tentative pour le faire revenir, lui promettant le pardon et la restitution de ses possessions et rentes. Charles bien évidemment n’en croit rien. Il abandonne à ce moment la devise “Espérance ” des ducs pour “Omni spes in ferro : Tout mon espoir est dans le fer” et “Victoire ou mort”.
Les guerres d’Italie
Charles, nommé lieutenant général, guerroie en Italie du nord contre les troupes françaises, et défend victorieusement Milan -le célèbre chevalier Bayard trouvera la mort pendant la retraite de l’armée française. Il entre en Provence mais après quelques succès échoue devant Marseille. Les troupes françaises avancent et reprennent alors Milan. Emporté par l’enthousiasme, François Ier met le siège devant Pavie. Il réussit plusieurs percées, mais au final c’est un désastre pour l’armée française, qui perd 10 000 hommes et de nombreux nobles, comme le Maréchal de La Palice, dont la mort est à l’origine de la fameuse maxime : “Hélas, La Palice est mort. Il est mort devant Pavie. Hélas s’il n’était pas mort, il ferait encore envie”. La graphie du s et du f étant quasiment similaires à l’époque, le “ferait” s’est transformé en “serait”, donnant naissance aux “lapalissades” ou “vérités de La Palice”. François Ier est fait prisonnier. Il est emmené en Espagne. Or Charles Quint et Henri VIII d’Angleterre sont plutôt enclins à négocier qu’à poursuivre les hostilités contre la France, dont les armées sont toujours redoutables, avec Louise de Savoie comme régente.
Le traité de Madrid
En 1526, par le traité de Madrid, François Ier, en échange de sa libération, accepte diverses conditions (restitution de la Bourgogne, abandon des revendications en Italie du nord, mariage avec la soeur de Charles Quint qui avait pourtant été promise au Connétable) et surtout promet la restitution à Charles III de tous ses biens sans qu’il doive rendre hommage au roi pour ceux-ci. Charles pourra aussi négocier l’acquisition de la Provence et son procès en héritage sera suspendu jusqu’à son décès. Mais François Ier, qui est décidément bien loin de l’image idyllique que l’histoire en donnera par la suite, rédige secrètement devant notaire un texte dans lequel il dénonce les termes du traité et considère que ses concessions seront nulles et non avenues. Sitôt libéré et rentré en France, il s’appuiera sur ce texte pour revenir sur ses promesses.
Le sac de Rome et la fin du Connétable
Charles, qui a compris que François Ier et Charles Quint s’étaient plus ou moins entendus à ses dépends, ne croit plus qu’en lui-même. De retour en Milanais où les hostilités ont repris, Charles, devant le peu de soutien militaire et financier offerts par l’empereur, rassemble les troupes qui lui restent avant qu’elles se mutinent et fonce vers les états pontificaux pour trouver de l’argent pour payer ses mercenaires. Cette troupe formée de bric et de broc est totalement autonome et ressemble de plus en plus à une bande de pillards. Ils arrivent sous les murs de Rome en mai 1527. L’assaut a lieu rapidement, et le Connétable meurt d’une blessure à l’aine en montant aux remparts. Ses hommes réussissent à prendre la ville et la mettent à sac. Il s’ensuit une semaine d’orgies et de violences. En partant, ses hommes emmènent avec eux le corps de leur chef et l’enterrent au château de Gaëte dans le royaume de Naples. Charles fut évidemment excommunié post mortem pour avoir pris Rome, sanction qui ne sera levée que trois siècles plus tard. François Ier rouvre le procès de Charles, qui est condamné pour trahison. Ses biens sont confisqués (avec un semblant de légalité cette fois-ci) et rejoignent la Couronne. Les façades du splendide Hôtel de Bourbon, près du Louvre, construit par le duc Louis II, sont badigeonnées de jaune, couleur des traîtres, et les motifs aux armes et écussons des Bourbons sont martelés. C’est la fin du Bourbonnais indépendant, et le début de la légende de “la trahison du Connétable de Bourbon”. Les lecteurs qui auront eu le courage d’arriver jusqu’ici pourront maintenant se faire leur propre opinion !
(source : « micbourbonnais.free.fr »