René Fallet (©Andersen 1978)

Le Bourbonnais, n’y venez pas !

 

« Le Bourbonnais est inconnu. En cyclisme, en football, il n’y a pas de Ligue du Bourbonnais. La province est rattachée à la Ligue d’Auvergne, où elle demeure incognito. « Pas vue, pas prise » pourrait de nos jours être sa superbe devise alors qu’elle s’en pare d’une autre moins digne : « Allen ». Ce qui signifie « Ensemble ».
Le Bourbonnais est inconnu. La raison en est simple, à mon sens : on ne le connaît pas, on ne veut pas le connaître parce qu’il n’est pas spectaculaire. Envoyer en août des cartes postales de Vaumas, de Couleuvre ou de Hérisson, on ne peut pas dire que ça jette du jus auprès des amis et connaissances. Ca manque de mer et de montagnes. Ca ne paie pas le timbre. Ca ne saint-tropèze pas lourd. Ca ne fait pas vacances de cadre supérieur, ni moyen, ni même d’ouvrier qualifié. Bref, pour parler comme dans les vestiges du Paris inconnu des touristes, ça fait un brin ringard, un poil minablos, un chouilla fougnotteux. Pas de si tôt qu’on ira planter la caravane six places avec jardin incorporé. C’est sur la côte qu’elle ira, la caravane des Fenouillard ! N’importe quelle côte, pourvu qu’elle soit côte et cotée à l’argus du pot de yaourt mollement touillé par l’hydrocarbure irisé.
Moralité, le Bourbonnais est, dieu merci, mille fois merci, inconnu ! Et ne réclame ni Stanley ni Livingstone ! Ni marinas mi-stuc mi-staff sur les bords de l’Allier ! ni d’enchanteur Merlin-Aquitaine pour la forêt de Tronçais ! Il n’y a rien à voir, en Bourbonnais. Rien. Et ça se sait ! Personne ne vient ! N’y venez pas ! Il n’y a que de la campagne. Au mieux vallonnée comme une poitrine de lycéenne de Moulins. De la campagne avec des vaches dedans, et, sauf votre respect, de la bousse. Et les Bourbonnichons – c’est leur nom pas une gaillardise- parsèment leurs près de taureaux de combat qui meuglent à mort sous la pluie. Parce que, pour compléter le tableau, il pleut ! Presqu’autant qu’en Bretagne ou que dans les Pyrénées, parfaitement.
Question gastronomie, c’est le vide. La potée bourbonnaise, la paëlla à la vichyssoise, la choucroute montluçonnaise, ça n’existe pas. Il y a bien quelques foies gras, mais c’est à Saint-Yorre qu’on les soigne… Pour l’œnologie, ce n’est pas mal non plus. A Saint-Léon, on produit un tutu redoutable qui vous transperce, comme qui badine, les toiles les mieux cirées. Mais Saint-Pourçain, me direz-vous, c’est un bon vin, Saint-Pourçain ? Oui, et il fut même, un temps, celui des rois de France. Quelques rares vignerons ne livrent pas encore toute leur récolte à la cave coopérative. Mais on ne vous donnera pas leur adresse.
C’est comme ça, le Bourbonnais : il n’y a rien. Que de l’herbe à longueur de vue, la plupart du temps. Il n’est bon bœuf que de chez nous…
Oh ! on a bien quelques châteaux du XVe, du XVIe siècle, on ne sait plus, tellement ils sont vieux. Mais ce n’est pas des châteaux pour de vrai : on ne les visite pas. Figurez-vous qu’ils sont tous habités, ou presque. Alors, on ne peut pas prendre des photos dedans. Comment voulez-vous que, dans ces conditions, ils intéressent le Parisien et le Japonais ? Dans mon bled, on n’en a jamais vu, de Japonais. On sait qu’ils font des motos, c’est tout. Et que, quand ils ne sont pas à Tokyo, ils sont à Beaubourg…
Ah ! c’est pas drôle, le Bourbonnais. A part Hector Rolland, le député de Moulins, y’a rien de pittoresque. Mais on est bien comme ça dans nos fermes et dans nos villages. On y boit le canon, et la sieste a un nom régional : la « première ». Quand on se réveille, on dit au vacancier : « Va voir au cirque de Gavarnie si j’y suis ! ». Même qu’on parle de fonder une société qui s’appellera : « Laissez-nous vivre ! »
En attendant, on vit. A l’écart, et allen. »
René Fallet.